Que seraient les jeux vidéo sans boss ? Partie intégrante de l’ADN du médium, les boss ont toujours eu une place chère dans le cœur des joueuses et joueurs puisqu’ils sont l’incarnation en chair et en os (de pixels) du dépassement de soi recherché manette/clavier en main. Certains jeux sont d’ailleurs principalement focalisés sur les affrontements mano à mano, les boss rush. En 2016, l’un d’entre eux, Furi, avait fait forte impression grâce à un savoureux mélange entre son gameplay nerveux, son univers visuel démarqué et sa bande-son intestable. Étonnement, ce jeu n’a engendré que très peu d’héritiers directs malgré une formule impeccable. Pourtant, 7 ans après sa sortie, voici poindre un jeu qui lui ressemble fort : Gripper. Mais s’inspirer de Furi est-il un gage de qualité ?
L’héritier de Furi ?
Si la mention à Furi est importante, c’est parce que le jeu des studios de Game Bakers est clairement l’inspiration principale de ce Gripper. Pour rappel, Furi fonctionnait sur trois ressorts principaux : son gameplay (via ses boss), son univers et sa bande son. Ici, Gripper a repris les mêmes éléments pour tourner autour et proposer quelque chose de différent. La base du jeu est pourtant la même puisque l’action principale se déroule dans des arènes, en vue “isométrique” avec une succession de boss à détruire pour voir le générique final.
De même, la bande son est un élément central de l’expérience avec un message au lancement du jeu incitant les joueurs à profiter du jeu avec un bon gros casque sur les oreilles. Pour autant, les thèmes électro et synthwave de ce Gripper ne sont jamais transcendants. Sans être mauvaise, la soundtrack n’en reste pas moins très basique pour son genre et échoue à donner une identité sonore à chaque boss que nous rencontrons.
Enfin, la structure de l’univers entre aussi en résonance avec Furi en proposant un style visuel très démarqué, assez coloré et futuriste dont les inspirations principales sont aussi tirées de la japanimation. La référence à Akira est d’ailleurs assez évidente lorsqu’on voit notre héros débarqué sur sa grosse moto.
Avec ce tronc commun, les bulgares du studio de Heart Core proposent évidemment leurs propres variations. La principale vient de la structure du jeu puisque tous les niveaux de boss sont entrecoupés d’un passage dans un hub très sommaire et mais aussi par des niveaux de transition à moto. Il s’agit ici d’aller d’un point A à un point B en esquivant tous les obstacles sur le passage. Pour les vieux de la vieille, ces niveaux spéciaux suintent ceux de Sonic 2, en 3D avec leur pipeline.
Une histoire intime
Côté narration, vous incarnez None, un motard du futur, qui a décidé de quitter précipitamment le domicile familial suite à un accrochage avec ses parents. Parti depuis des années sans regarder en arrière, il reçoit alors un message de sa mère l'exhortant de ne surtout pas rentrer. La psychologie inversée fonctionne visiblement sur le personnage puisqu’il décide de se précipiter chez lui pour retrouver son monde sens dessus dessous et ses parents disparus…
L’histoire du jeu semble d’ailleurs plus personnelle qu’elle pourrait ne le paraître car l’une des têtes pensantes du titre, Kirill Zolovkin, explique qu’il a pensé le jeu comme une réponse créative au décès de sa mère il y a quelques années. Le nom des boss sont d’ailleurs repris des différentes étapes du deuil et il s'agira évidemment de tous les abattre pour avoir le fin mot de l'histoire. La mise en scène est probablement l’une des qualités du titre, notamment dans sa direction artistique mais aussi certaines de ces cutscenes assez originales qui vont mélanger gameplay et illustration. Malheureusement, le tout est un peu inconstant.
On notera tout de même un problème de synchronisation entre les dialogues et l’image, en tous cas, avec des voix japonaises, comme nous l’avons testé. Effectivement, le jeu propose aussi un doublage nippon, à la manière d’un Furi (tiens, tiens…), d’une très bonne qualité et qui semble mieux coller à l’univers global.
Un gameplay intéressant mais imprécis
Sur le papier, Gripper a donc des qualités mais le jeu dérape un peu dans son exécution. Nous contrôlons notre héros sur sa moto. Ce qui est une bonne idée de game design mais c'est parfois maladroitement mené car la seule manière de vous défaire de vos ennemis est d’utiliser un treuil attaché à votre bécane. Cet outil vous permettra d’arracher des morceaux de vos ennemis, en ayant préalablement réussi à les immobiliser, ou à les envoyer valser dans le décor.
Malgré un principe de base assez simple donc, le gameplay se révèle pourtant souvent brouillon dans son exécution tant il est difficile de lire une action qui pardonne peu. Ce Gripper se veut effectivement exigeant de l’aveu du même Kirill Zolovkin qui évoquait la difficulté comme un moyen de traduire la souffrance liée au deuil. La théorie est intéressante mais dans la pratique, la mort est plus souvent le résultat d’un manque d’équilibrage et de finesse de gameplay. Il n’est pas rare de se faire oblitérer en deux temps, trois mouvements à cause d’un seul projectile entraînant une réaction en chaîne qui va avoir raison de votre barre de vie.
Pourtant le gameplay s’étoffe au fur et à mesure de la progression puisque défaire un ennemi aura pour résultat de faire gagner une compétence à notre héros, comme la possibilité de sauter ou d’utiliser une accélération. Entre les combats, il est aussi possible d’améliorer sa barre de vie et d’énergie, nécessaire à l’utilisation des compétences, ou encore d’équiper jusqu’à deux bonus limités qui pourront vous faciliter la vie, comme des soins ou des objets offensifs. Malheureusement, ces bonus ne changeront souvent pas grand chose, la difficulté étant assez mal équilibrée. Certains boss peuvent être annihilés en un seul essai alors que d'autres vous demanderont plus d'acharnement.
Les niveaux de transition souffrent aussi de quelques problèmes de lisibilité puisqu’il sera quasi-impossible de compter uniquement sur ses seuls réflexes pour réussir à esquiver les obstacles sur le chemin. En effet, avec des éléments qui apparaissent au dernier moment et une vie limitée, vous aurez rapidement mieux fait d’apprendre le parcours par cœur. Encore une fois, se prendre un seul élément sur votre chemin revient souvent à échouer. La période d’invincibilité après un dégât étant presque nulle, il est compliqué de se sortir d’une mauvaise trajectoire rapidement. Pour autant, ces niveaux ont quelque chose d’hypnotisant et on regretterait presque que la musique ne soit pas plus mise en valeur lors de ses phases. On aurait presque aimé que les éléments arrivent en rythme avec la bande son, ce qui n’aurait pas été incohérent avec la proposition du jeu.
Une technique en dent-de-scie (sur Switch)
Je tiens à préciser que j’ai joué au jeu sur une version Switch, le tout sera aussi disponible sur PC. Ainsi le titre perd en lecture, notamment en mode portable, d’autant plus qu’il a tendance à plonger le joueur face aux boss sans que la solution pour les vaincre soit évidente au premier abord ou suggérer naturellement. Heureusement, le jeu répond plutôt bien, ce qui permet de rapidement le prendre en main. Gripper aurait cependant pu bénéficier d’une dernière vidange afin d’affiner le gameplay sur cette version. Le timing est souvent serré pour s’en sortir et il n’est pas rare de pester pour les quelques imprécisions du JoyCon.
Cette version n’est d’ailleurs pas exempte de défauts techniques et notamment au niveau du framerate qui pourra cracher un peu ses poumons lors de certains passages un peu plus gourmands. Le jeu paraît assez flou aussi, ce qui peut parfois un peu fatiguer la vue. Heureusement le tout tourne globalement bien et profite d'une direction artistique originale pour planquer ses faiblesses techniques sous le capot. On pourra cependant noter que Gripper ne souffre pas de chargements trop longs, ce qui permet de réduire la frustration de certains échecs le long de la dizaine d’heure que vous propose l’aventure si vous visez le 100%.